Le conflit du Mac Donald’s de la rue de Strasbourg à Paris a maintenant plus de 20 ans. Rappelez-vous, d’octobre 2001 à février 2002, les salariés du fastfood avaient souhaité alerter l’opinion sur leurs conditions de travail au sein de la chaîne de restaurant nord-américaine. Ce ne fut pas un conflit social comme les autres : il a permis de mettre en évidence la nécessaire cohérence entre stratégie RH et stratégie marketing au sein d’une entreprise. Mais après toutes ces années, qu’avons appris de cette expérience et peut-elle nous aider à affronter les changements radicaux auxquels nous avons à faire face actuellement ?
En cette fin d’année 2001, l’occupation historique du MacDo de la rue de Strasbourg est une grève dure et longue qui met à mal l’image globale de l’entreprise. C’est la stratégie marketing globale de la chaîne de fastfood qui est alors remise en question : l’entrée dans un restaurant était présentée comme un moment de fête et de plaisir – un endroit où on peut venir manger et s’amuser en famille – et le message marketing a été fortement écorné par la découverte d’une réelle précarité sociale de l’autre côté du comptoir. Le monde a alors pris en compte la forte taylorisation du métier régie par le principe d’efficacité́ où chaque geste est mesuré, découpé́ et réarticulé́ en une « one best way. » La forte médiatisation de ce conflit a terni l’image de l’entreprise auprès de l’opinion française ce qui ne rendait plus crédible sa proposition de valeur. A l’époque, le PDG de MacDonald’s France, Jean-Pierre Petit, a compris que sa stratégie d’implantation rapide sur le territoire dépendrait fortement d’un travail de fond sur sa marque employeur. Hubert Mongon, DRH France et Europe avait alors été missionné pour mettre en œuvre la politique « RH attitude » caractérisée par une nouvelle promesse employeur engageant la chaîne et ses franchisés. A partir de 2008, l’entreprise était à nouveau devenue attractive, notamment auprès des étudiants et pouvait compter plus de 350.000 candidatures à l’embauche par an.
Mais que faut-il retenir de ce conflit où stratégies marketing et RH vont de concert et nécessitent harmonie et cohérence au risque de mettre à mal la stratégie globale de l’entreprise ?
Certes depuis 2001, les organisations sont beaucoup plus complexes et la notion même de stratégie RH évolue. La marque employeur concerne désormais beaucoup plus de monde que les seuls salariés. Elle concerne également les prestataires, les collaborateurs sous différents statuts (freelance, auto-entrepreneurs…), et tous ceux qui réalisent une partie de l’activité nécessaire à la délivrance d’un produit ou d’un service de l’entreprise.Il est vrai aussi que les attentes de la société sont désormais différentes. Près de 20% de la population active partage son activité entre plusieurs métiers et pour plus 2 ,5 millions de ces pluriactifs, il s’agit d’un choix volontaire. Dans une enquête IPSOS datant de février 2016, plus de 50% des français aimerait être indépendants. Mais le choix de se libérer totalement ou partiellement d’un lien de subordination qui est de moins en moins accepté par la nouvelle génération doit-il se traduire par une inéluctable précarisation de la situation sociale de ces candidats à l’emploi sous un nouveau format ?N’est-ce pas le fond du problème du conflit qui anime actuellement les chauffeurs de Uber ? Ce conflit ne préfigure-t-il pas les problèmes des marques employeur de demain ? Et pour revenir à la question initiale de ce post, quelle crédibilité faut-il accorder au message d’une entreprise qui vante la qualité de son offre de service, alors que ses pratiques managériales sont dénoncées comme précarisantes ? Imaginons seulement l’effet que pourrait avoir une campagne médiatique révélant une telle incohérence pour votre propre marque… et si vous vous leviez un matin, avec la une de la presse montrant un de vos « presta-collaborateurs » dormant dans sa voiture, devant votre enseigne et bataillant avec le RSI ou le RSA pour obtenir ses minimas sociaux…
Par « ISO 9001 le jour, Isotherme la nuit », nous entendons alerter toutes ces entreprises qui pensent avoir trouvé le Saint Graal dans la montée en puissance de l’auto-entrepreneuriat, des solutions de freelance ou de travail indépendant pour gérer la flexibilité de leur entreprise, sans prendre en compte la situation sociale de leurs collaborateurs. Avec autant de candidats à l’emploi indépendant, désormais accessibles sur des plateformes collaboratives, il est maintenant facile pour un employeur de recruter du personnel au statut précaire et de répondre à ses besoins de flexibilité. Et pourtant une telle politique supporte de réels coûts cachés (fort turnover, absentéisme, …). Elle décrédibilise la proposition de valeur globale des entreprises qui recourent aux solutions les plus simples qui favorisent la mise en relation sans se préoccuper de la situation sociale des collaborateurs. Certes il est possible d’imaginer une amélioration du statut des indépendants, en leur proposant notamment une meilleure protection, avec une mutuelle par exemple. Cela leur sera fort utile quand ils auront attrapé froid en dormant dans leur véhicule ou en attendant devant une pizzeria la possibilité de livrer une commande payée à la course !
Mais la plupart des français est bel et bien profondément attachée au salariat ainsi qu’à notre modèle social et ceux qui le remettent en question risquent d’en payer le prix médiatique !
Il est finalement paradoxal de constater les sommes levées par des startups qui vont pourtant contre les intérêts des clients auxquels elles s’adressent. Peu d’acteurs proposent en fait de véritables solutions qui intègrent l’ensemble de la chaîne de valeur de l’emploi. Malgré tout, il serait dommage de ne pas profiter des opportunités et des immenses possibilités que les changements sociétaux et technologiques nous offrent actuellement. Les nouveaux modèles à créer devront à la fois répondre aux attentes de flexibilité de la part des entreprises et au besoin croissant d’indépendance des salariés. Une nouvelle vision des rapports sociaux est possible mais elle implique la volonté de les construire en associant performance économique et progrès social. C’est un travail qui ne peut pas se résumer au simple développement d’une solution applicative avec la seule volonté de disrupter les modèles existants, notamment dans une logique courtermiste et de positionnement low-cost. Il s’agit plutôt d’une vision à construire sur le long terme où les choix des décisionnaires devront prendre en compte l’impact social et sociétal de leurs entreprises pour asseoir la crédibilité de leurs propositions de valeur.
C’est certes beaucoup plus complexe que de recruter un freelance en quelques clics, mais tellement plus créateur de valeurs !!!